Le pendulon 

 

 

Le couple sortit de la pénombre de la rue.

La place était déserte. Seul un chien urinait en rond autour d’un réverbère fatigué.

« Fous le camp » cria l’homme d’une voix mauvaise. Et le chien obtempéra sur trois pattes. La quatrième, levée, refusant obstinément de se baisser.

L’homme se retourna vers la jeune femme. Peu donneur de nature, il lui donna la trentaine au regard et la quarantaine au toucher. Modèle sans trop d’écart dont le dehors frisait le dedans. Du tout bon !

La nuit tomba brutalement sur la place. L’homme se jeta au sol. La jeune femme, surprise, ne put éviter le coup. Violemment assommée, elle se pâma, tel un coquelicot fané, sur les pavés grisâtres de la petit place. Regard amusé du réverbère fatigué à qui ce spectacle rendit quelque couleur.

L’homme se redressa. Il jeta un regard inquiet sur la jeune femme. Celle ci respirait encore. Tout allait donc pour le mieux. Il arrivait parfois que la nuit se montre trop meurtrière dans sa collaboration. L’incident était fâcheux car le pendulon de la victime perdait alors toute valeur.

L’homme dégrafa le corsage de la jeune femme. Il aimait le travail bien fait. Bistouri à la main, il entreprit son dépeçage en sifflotant.. Deux à trois minutes plus tard, il se relevait, doigts noués, sur un pendulon du plus joli tirage.

« Tic tac tic tac » battait le pendulon.

Ravi de sa prise, l’homme la mit dans la poche intérieure de sa veste. Tout contre son propre pendulon. Puis, sourcil en fête, il quitta la place en pressant le pas.

Tic tac tic tac tic tac tic tac tic..

"Curieux" pensa l’homme, "ce pendulon fait beaucoup plus de bruit qu’il ne devrait !"

Et il se décida de vérifier la chose..

Seule tache blanche dans un ciel noir, la lune baillait à s’en décrocher le croissant. L’homme la regardait bêtement. Il ne comprenait pas. Dans la paume de sa main, amoureusement serrés l’un contre l’autre, deux pendulons battaient la chamade..

Tic tac tic tac tic tac TIC TAC TIC TAC TIC TAC TIC TAC..

Tout lui péta alors en pleine gueule !

 

 

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Georges Berdot 1966